Échange inspirant entre Loïc Manno et Helice.

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Ingénieur en mécanique, Loïc est un expert des robots humanoïdes, avec une spécialisation pointue dans la conception de mains robotiques. Son travail remarquable l’a conduit à développer un bras humanoïde innovant, une réalisation qui lui a valu de remporter le prestigieux prix de l’ESIEE Paris. Aujourd’hui, il met son talent au service d'Enchanted Tools, un acteur européen de premier plan dans l’univers de la robotique.



 1. Le parcours et la genèse du projet 

-Comment en es-tu venu à développer un bras humanoïde ?

 Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours voulu inventer des choses, j'avais un profil très créatif, je dessinais, inventais des choses en lego etc… Mon idole était Tony stark, alias Iron Man, un ingénieur sans pouvoirs qui crée sa propre armure exosquelettes pour démultiplier ses capacités .

Quand j'étais en seconde, j'hésitais entre devenir créateur de jeux vidéo, concevoir des personnages, etc ou fabriquer des choses dans le monde réel. J'avais un attrait très fort pour la SF et notamment l'idée d'humain optimisé, avec les exosquelettes et les prothèses par exemple. 

J'ai alors choisi de m'orienter vers la conception et l’ingénierie afin d'avoir une implication impactant le monde réel. Mon objectif était déjà à ce moment-là de me spécialiser en robotique humanoïde ou liée à l'Humain.

Quand je suis arrivé au lycée, j’ai réalisé un premier projet de conception, une prothèse de bras, et ensuite, quand j’ai intégré mon DUT, j’ai eu la chance d'avoir aussi des projets de robotique au sein de l'IUT ; j’ai alors conçu une autre main et un cou robotique. Par la suite, quand je suis entré en école d'ingénieurs, j’ai fait une première alternance d’un an chez Emobot, ou j'étais responsable de la conception d'un petit robot médical en lien avec la santé mentale, malheureusement l’entreprise à pris une direction plus digitale, ce qui m'a poussé à chercher une autre alternance. En même temps que je postulais et cherchais un nouveau contrat dans le domaine robotique,  j'ai commencé à concevoir mon propre robot afin de gagner en visibilité et crédibilité auprès des entreprises qui fabriquent des robots. Par la suite, j’ai postulé chez Enchanted Tools et j’ai été embauché. Aujourd'hui, je suis responsable du sous ensemble du pouce et travaille sur la prochaine version de main. Pour moi, ce travail est une passion et c'est ce que je cherchais.

A côté de ce nouveau travail, j' ai continué à développer mon propre robot que j' ai aujourd'hui appelé TRINITY.

-Qu’est-ce qui t’a motivé à aller jusqu’au bout, jusqu’à remporter le prix de l’ESIEE Paris ?

J’avais déjà commencé à fabriquer le bras de mon robot pour les raisons évoquées précédemment, et un camarade de classe m’a envoyé un courriel pour m'informer de ce concours. Je me suis inscrit et j’ai remporté le prix. Mais initialement, le projet n’avait pas été créé dans le but de ce concours. Ce que j'ai ajouté, c'est la programmation pour faire bouger la main, allant donc au-delà de la partie uniquement mécanique que j'avais prévue. Ça n’a pas été facile, car ce n’était pas mon corps de métier. J'ai donc fait bouger la main pendant le concours, ce qui, je pense, a permis d’attirer l' attention du jury au-delà de simplement la partie mécanique. Prochainement, je vais participer à Vivatech ; en plus du bras, je veux faire bouger la tête, alors je continue la programmation à l' aide de chat GPT.

 

 2. Le projet en lui-même 

-Peux-tu me décrire simplement comment fonctionne ton bras et quelle est sa particularité par rapport à ce qui existe  ?

C’est un bras qui a sept degrés de liberté, pour réaliser les mouvements de l'épaule, du biceps, de l'avant-bras et du poignet. La main a dix degrés de liberté. J’ai conçu des actionneurs qui sont un ensemble de réducteurs poulie courroie et épicycloïdal. J’ai aussi utilisé des actionneurs linéaires pour le poignet et le cou. J’ai vraiment insisté sur le design, qui est plus artistique que industrialisable. Il est fabriqué avec une imprimante 3D ; ça ne pourrait pas être fait avec de l’aluminium par exemple, ce n’est pas facilement usinable. C’était un parti pris plutôt artistique. Ce qui a pu aussi le différencier, c’est que j’ai conçu des réducteurs un peu différents de ceux qui se font habituellement. Normalement, vous avez un moteur et un réducteur sur le même cylindre. Moi, j’ai décentré le réducteur par rapport au moteur, ce qui permet de déplacer la base du moteur vers le centre du robot. Il a donc moins de poids à soulever lorsqu'il lève son propre bras, et le système est aussi plus plat.

 

 

3. Accessibilité et usages concrets 

-Est-ce que tu penses que ton prototype pourrait, à terme, répondre à un besoin réel chez les personnes amputées ?

Je pense qu’à partir du moment où l'on fait un bras robotique, la mécanique peut être utilisée pour faire une prothèse de main ; dans ce cas-là, oui. Après, il faut utiliser des technologies de capteurs sensoriels pour comprendre ce que souhaite l’utilisateur et le retranscrire mécaniquement, ce que je ne maîtrise pas. Mais pour répondre à la question, oui, si on le voulait, la main pourrait être utilisée pour fabriquer une prothèse. Ce que j’imagine, c’est que si une entreprise fabrique une main pour un robot, elle peut très bien la réutiliser. Après, c’est le choix de créer un pôle dédié à son adaptation au corps humain ; cela dépend des choix et du modèle économique de l’entreprise. Je pense que c’est possible. Il y a des entreprises qui fabriquent déjà des prothèses, ce serait aussi un risque de les concurrencer, un investissement pour un pôle alors qu'il y a déjà des concurrents. Ça dépend aussi de la conception de la main ; forcément, il y a les actionneurs, le système mécanique, la batterie, les cartes de contrôle, etc. Les entreprises qui fabriquent les bras pour les robots ne les placent pas aux mêmes endroits ; elles préfèrent les mettre dans les avant-bras ou le torse par exemple, donc cela demanderait potentiellement un redesign et une réintégration totale des composants de la main. Donc, ce ne serait pas si simple à intégrer non plus.

-Qu’est-ce qui bloque aujourd’hui l’accès à ce type de technologies pour, selon toi ?

 Je ne suis pas le mieux placé pour en parler mais mon impression est qu'aujourd'hui les points bloquants ce sont le client et l' efficacité du robot. Un robot, c'est bien, mais la fourchette de prix va de 15 000 à 100 000 euros. Il y a donc des gens très intéressés pour en commander, mais pour l’instant, le robot humanoïde est vraiment trop cher ou pas assez efficace pour que des entreprises en commandent 500 par exemple. Ce qui bloque, je pense, c'est donc surtout la demande client et la technologie. Il y a aussi l'investissement : les investisseurs sont-ils prêts à prendre le risque d'investir sur des entreprises aussi technologiques ? On ne trouve pas encore assez de personnes qui veulent en acheter sachant que la plupart sont encore des prototypes. La question est aussi : le robot humanoïde est-il utile ? Par exemple, pour passer l'aspirateur, il est inutile d'acheter un robot juste pour qu'il tienne l'appareil ; on achètera plutôt un robot aspirateur à 300 €. La question est donc : comment optimiser le robot humanoïde pour que, malgré son coût, il soit particulièrement utile ? Je pense que le robot humanoïde émergera le jour où il sera si agile, un peu comme un humain, qu'on pourra se dire : « Finalement, j'en prends un qui fait tout, plutôt que d'acheter plein de petits robots effectuant des tâches très spécifiques. » A ce moment-là, le robot sera la solution technologique la plus utile et le retour en arrière sera certainement impensable. Actuellement, la question est plutôt inverse : est-ce que plein de petits robots hyper spécialisés ne valent pas mieux qu'un seul ? Mais ce n'est que mon avis. Tout dépend. Il y a des robots spécialisés dans la logistique ou dans l’assemblage. D’autres sont beaucoup plus dans l’interaction sociale. L’avantage, chez Enchanted Tools par exemple, c’est que nous sommes plutôt polyvalents, capables de faire à la fois de la logistique, de la préhension, de l’interaction, mais aussi de la navigation. À ce niveau-là, notre robot est assez hybride, mais dans certains cas, les robots sont vraiment très spécialisés, pas du tout polyvalents. Mais c’est une question de marché : plus on est précis et pointu, plus les clients BtoB spécialisés dans un secteur sont intéressés, plutôt par un robot qui fait de tout mais moins qu'un robot spécialisé.

 

 4. Besoins & accompagnement 

-Qu’est-ce qui t’a manqué (ou te manque encore) pour faire avancer ton projet ? (contacts, matériel, financements, tests…)

Le point principal est qu'à la base, je ne suis qu'ingénieur en mécanique. J'ai fait la partie mécanique, mais pour tout ce qui est logiciel et électronique, il faut vraiment des gens dont c'est le métier ; c’est difficile de maîtriser les trois en même temps. Au niveau du financement, j’ai tout financé moi-même, ce qui a influencé mes choix de conception. J’ai dépensé environ 3 000 € sur deux ans pour le réaliser. Comme j’ai tout fabriqué avec une imprimante 3D, cela a influencé ma conception, comme des engrenages qui sont très gros, alors qu'en acier ou en aluminium, ils auraient été cinq fois plus petits. Mais la différence entre un prototype imprimé et un vrai robot, c’est que le prototype imprimé va coûter 2 000 € à fabriquer, alors qu’en aluminium, on monte vite à plus de 60 000 €. J'ai aussi utilisé des servomoteurs, par exemple, ce qui n’est vraiment pas cher. Mais si l'on veut faire un robot humanoïde plus fiable, cela devient bien sûr beaucoup plus cher.

 

 5. Cartographie du secteur 

-Penses-tu qu’une carte claire des acteurs du domaine (techniques, médicaux, fournisseurs, etc.) serait utile ? Qu’est-ce qui te ferait gagner du temps ou éviter des galères dans ton parcours ?

Je pense qu’il faut surtout être bien entouré, avec des personnes qui possèdent les compétences requises. Dans mon cas, c’est la mécanique. Dans mon cas personnel, si je pouvais avoir une liste, ce serait celle des solutions mécaniques sur les transformations de mouvement, tout ce qui pourrait enrichir ma culture technologique. S’il y avait une cartographie de tous les systèmes mécaniques existants, il serait plus facile de choisir celui qui correspond à ce que l'on veut faire. Ou même une cartographie comparant les différentes solutions des robots humanoïdes concurrents. Mais c' est bien pour ça que les ingénieurs sont là, pour inventer de nouveaux systèmes. Les entreprises ne communiquent pas nécessairement sur la technologie qu'elles utilisent dans leur main, c'est assez confidentiel hormis si c'est un choix.